J'ai 4 ans.....je vais au "Ja des Plantes"

En grandissant, petite fille sauvage et solitaire, privée de liberté et déjà asociale, j'ai apprécié de plus en plus la compagnie des animaux et les promenades au "Ja des Plantes". Chaque fois que j'arrivais à décider ma mère à aller au "labyrinthe", j'étais sous le charme de ces arbres si grands qui m'impressionnaient un peu de part leur taille et la fraîcheur qu'ils préservaient dans les allées. Je n'avais pas assez d'oreilles pour écouter les bruits de la nature : le vent dans les arbres, les oiseaux qui se parlaient, les bestioles trop furtives dont le passage dans les buissons n'était trahi que par un ppffft  à peine perceptible..... J'ouvrais les yeux le plus grand possible, j'allais le nez au vent pour capter toutes les odeurs tellement changeantes selon les saisons et le temps, soit pluvieux, soit ensoleillé.
Puis j'entraînais ma mère vers " l'étang" où se trouvaient des canards avides du pain que les promeneurs ne manquaient pas de leur apporter. Ils étaient tellement drôles quand ils s'approchaient en se dandinant...

Si ma mère était dans un bon jour, j'arrivais à aller jusqu'aux moutons. Quel bonheur !!!!
J'aimais me coller tout entière - y compris le visage - contre le grillage et glisser mes doigts dans la laine un peu rugueuse et grisâtre qui leur tenait chaud. Un luxe, pour la frileuse que j'étais déjà !. J'aimais cette odeur forte qui imprégnait mes mains et mes vêtements et qui était tellement tenace que je "sentais le mouton"  longtemps après les avoir quittés - et tant pis pour les remontrances !!! - Cet instant de bonheur m'appartenait, et les paroles désagréables qui suivraient ne l'entacherait pas !

Comment aurais-je pu deviner à quel point ils devaient être malheureux, entassés comme ils l'étaient derrière le grillage contre lequel s'agglutinaient les gens ?


Eternelle angoissée, ma mère me suppliait de ne pas m'approcher de la fosse aux ours où des enfants comme moi étaient ( soi-disant) tombés et avaient été déchiquetés et dévorés par ces ours mal léchés !!!!
Mais les ours à vrai dire ne m'intéressaient pas vraiment. Je les avais vus, tout en bas, dans la fosse, un jour où un adulte m'avait prise dans les bras pour que je puisse les apercevoir. Ils avaient l' air de s'ennuyer, tout simplement.... Ces gros animaux en apparence si placides me laissaient indifférente.
 Je préférais de loin observer le manège des fourmis lorsque nous nous asseyions sur un banc. Je m'accroupissais pour les voir de plus près - " attention ! tu vas te salir ! " - , et je me demandais comment elles faisaient pour escalader une paroi verticale sans tomber, exactement comme les mouches qui se promenaient au plafond de l'appartement...Ce prodige m'intriguait au plus haut point...

Reposée, ma mère souhaitait souvent que notre chemin de retour passe par "les allées aux fleurs". La première fois que j'ai aperçu cette étendue de toutes les couleurs, j'étais émerveillée. Mais j'ai déchanté bien vite quand nous sommes allées directement dans l'allée des roses. J'aurais préféré aller voir les autres fleurs, bien plus colorées, et pas trop hautes pour ma petite taille. Mais non : je devais admirer ces splendeurs au parfum incomparable...!! Bof..... Je ne les trouvais pas si belles que cela : pleines de "piquants", et pas "normales" ( 2 ans plus tard, je serais capable de dire que je ne les trouvais pas "naturelles" avec leurs ourlets impeccables et leurs teintes trop sophistiquées).  De plus, leur odeur me faisait tourner la tête. Je préférais les jolies petites pâquerettes qui poussaient n'importe où au milieu de la pelouse sur laquelle je n'avais pas le droit de marcher....

Mais c'est grâce aux roses que je découvrais les coccinelles toutes rouges avec ces jolis petits points noirs ! Qu'elles étaient jolies ! et elles venaient se poser sur ma main.....! J'étais tellement déçue lorsqu'elles s'envolaient....! Ma mère les appelait : les "Bêtes à Bon Dieu". Un bien joli nom pour un insecte .....

(celle-ci n'est pas sur une rose.....c'est volontaire ....je n'aime toujours pas les roses.....!)


Jour après jour, je découvrais, je voulais toujours découvrir quelque chose de nouveau - même si invariablement, je demandais à retourner voir les moutons qui avaient ma préférence.....

Ce n'est que bien plus tard que j'ai compris que mes "lubies" ne faisaient qu'augmenter l'exaspération de ma mère, fatiguée de me serrer la main pour que je n'aille pas courir explorer toute seule toutes ces merveilles....